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cette patience résignée que nous donne une longue impatience aux abois.

Bientôt les arbres le dérobèrent à ma vue. J’entendis, dans le lointain, le bruit d’une porte qui s’ouvrait et se refermait.

Mademoiselle de Châteaudun lisait ma lettre sans doute quelques instants après ; et moi aussi, je la relisais de souvenir, pour suivre, par conjectures rapides, les impressions de la jeune femme.

Dans le massif de verdure où je m’étais blotti, je voyais, à travers de rares éclaircies de feuilles et de branches grêles, une aile du château, mais confusément, comme si le mur eût été couvert d’une tapisserie verte déchirée en mille endroits. Aucun objet ne se détachait nettement, à la distance de vingt pas. Je ne voyais rien, j’entrevoyais.

Tout mon sang reflua vers le cœur. J’avais entrevu, à travers la gaze mystérieuse des feuilles, une robe blanche et la frange d’une écharpe d’azur, agitée par un mouvement de pieds légers. Tout ce qui se passa en moi dans ce moment n’est pas du domaine de l’analyse ; je ne me rendis compte que d’une émotion que les hommes passionnés comprendront. Une robe d’été courant sous les arbres, quand les fontaines et les oiseaux chantent ! Il n’y a rien au monde de plus doux à voir.

Je me plaçai sur la lisière de l’avenue, j’avançai un pied sur le terrain dépouillé pour me faire reconnaître, et, baissant la tête, j’attendis.

Je vis la frange de l’écharpe avant de voir le visage. Quand je relevai la tête, j’avais devant moi une femme charmante… mais ce n’était pas Irène de Châteaudun.

C’était madame de Lorgeval. Elle me connaissait, et moi, je la reconnaissais. Je l’avais vue avant son mariage. Elle conservait encore ses grâces de jeune fille, et le mariage, en perfectionnant sa beauté, lui donnait cet attrait irritant qui manque même aux vierges de Raphaël.

Un éclat de rire perlé me foudroya et changea toute la