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Vous me permettrez de vous accompagner jusqu’au perron, et de me retirer ensuite.

— Vous êtes mon prisonnier, monsieur, et je ne vous donne aucune permission. L’arrivée du prince de Monbert à Lorgeval est une bonne fortune ; mon mari et moi nous ne serons pas ingrats envers le bon génie qui vous amène ici. Nous vous retenons.

— Un instant, madame, je vous prie, lui dis-je en m’arrêtant à cent pas du château ; je me résigne au bonheur d’être retenu par vous, mais je vous serais bien reconnaissant si vous aviez la bonté de me nommer les personnes que je vais rencontrer ici.

— Il n’y a que des amis du prince de Monbert, croyez-le bien.

— Voilà précisément ce que je crains, madame, les amis.

— Il n’y a que des femmes.

— Voilà précisément, madame, ce que je crains ; les femmes.

— Ah ! monsieur, on voit bien que vous avez vécu dix ans avec les sauvages !

— Voilà justement ce que je ne crains pas, les sauvages.

— Hélas ! monsieur, je n’ai rien à vous offrir en ce genre. Ce soir, je pourrai vous montrer des voisins qui ressemblent aux tribus de la Tortue ou du Grand-Serpent. Ceux-là vous conviendront ; ce sont les seuls naturels du pays dont je puisse disposer. À cette heure, vous trouverez mon mari, deux femmes à peu près veuves et une demoiselle.

Un nouvel accès de rire saisit madame de Lorgeval. Elle poursuivit ainsi :

— Une demoiselle dont vous saurez le nom plus tard.

— Je le sais déjà, madame.

— Peut-être… Demain notre société s’augmente de deux personnes ; mon frère…

— Le beau Léon !