Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/191

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sur Étienne, qui emplit de soucis sa demeure. Il trouva le mot charmant ; il le commenta et le perfectionna ; en province on goûte singulièrement les calembours ; je n’en fais pas, mais j’en cite, j’aime à plaire. Le vieillard séduit me récompensa de cette coquetterie en me donnant un magnifique bouquet ; des fleurs admirables qui n’étaient pas du tout de la saison, des fleurs rares inconnues, innommées ; ce bouquet valait un trésor ; et quel trésor a jamais exhalé ce parfum ! Je revins au logis triomphante. Je vous dis toutes ces choses pour vous prouver combien j’étais calme ce jour-là et peu disposée aux émotions romanesques.

Je marchais très-vite, car on court malgré soi, en plein champ, lorsqu’il fait chaud, qu’on est poursuivi par les flèches du soleil ; on a hâte de s’abriter sous les arbres, et, pour trouver plutôt l’ombre et la fraîcheur, on se met hors d’haleine, on étouffe. J’avais enfin traversé une grande plaine qui sépare les propriétés de l’horticulteur de celles de madame de Meilhan, et je venais de rentrer dans le parc par la porte du petit bois. À quelques pas de là, il y a une source qui gazouille dans les rochers. Un bassin entouré de rocailles reçoit ses eaux. Ce bassin était dans l’origine assez prétentieusement orné, mais le temps et la végétation ont fait justice de ces ornements de mauvais goût. Les racines d’un superbe frêne pleureur ont impitoyablement démasqué l’imposture de ces faux rochers sauvages, c’est-à-dire qu’elles en ont détruit la savante maçonnerie ; peu à peu ces rocs, bâtis à grands frais sur la rive, sont tombés au beau milieu de l’onde où ils se sont naturalisés ; les uns servent de vase à de belles touffes d’iris, les autres servent de piédestal aux chevreuils privés qui courent çà et là dans le bois, et qui viennent familièrement se désaltérer à la source ; des plantes aquatiques, des roseaux, des liserons tressés, des rameaux entrelacés ont envahi le reste ; tout le travail pompeux de l’artiste est maintenant caché ; ce qui prouve la vanité des orgueilleux efforts des hommes. Dieu ne leur permet