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Dans les ténèbres du désespoir consommé, on se précipite vers tous les horizons où quelque chose scintille, phare ou étoile, phosphore ou feu follet. Est-ce le rivage ? est-ce l’écueil ?

Mes agents fidèles ne dorment pas ; je reçois à l’instant leurs dépêches, et cette fois la brume paraît s’éclaircir. En vous faisant grâce de tous les détails minutieux écrits par des serviteurs dévoués qui ont plus de sagacité que de style épistolaire, il m’est démontré que mademoiselle de Châteaudun est partie pour Rouen, il y a un mois. Elle a pris deux places au chemin de fer ; elle a été reconnue à la gare. Sa femme de chambre l’accompagnait. Sur ce point, le doute ne m’est pas permis. C’est un fait accepté : Irène est à Rouen ; j’en ai les preuves en mains.

Un vieux intendant de ma famille, un brave homme toujours dévoué à ceux de ma maison, est retiré à Rouen. J’établirai chez lui le centre de mes observations, et je ne compromettrai pas le résultat par une faute d’étourderie ou de négligence. L’inexorable logique des combinaisons victorieuses me sera dictée dans ma première nuit de recueillement. Ainsi, je pars ; ne m’écrivez plus à Paris. Les chemins de fer ont été inventés pour les affaires de l’amour et le commerce des choses du cœur. C’est un amoureux qui a posé le premier mètre de rail ; c’est un industriel qui a posé le dernier. Quel bonheur ! Rouen est un faubourg de Paris ! Cet avantage de rapide locomotion me permettra de passer deux heures à Richeport avec vous, et de serrer les mains de Raymond. Deux heures que je gagne dans ma vie, en les perdant avec le plus ancien de mes jeunes amis. J’aurai vraiment une joie extrême à revoir ce noble Raymond, le dernier des chevaliers errants, occupé, sans doute, à badigeonner quelques vieux manoir où la reine Blanche a laissé les traditions des Cours d’amour.

Qu’il est affreux, cher Edgard, de courir à la découverte de l’inconnu, quand une femme est au fond du