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À ce début, vous croyez sans doute que je promène à travers Paris une figure tumulaire et un vêtement dévasté. Revenez de cette erreur. J’ai pour principe de ne pas afficher mes soucis aux yeux des indifférents qui vous raillent sans vous guérir, et je regarderais les consolations comme des insultes à ma fierté. Le consolateur humilie l’affligé inconsolable. D’ailleurs, il est des maux que personne ne comprend et que tout le monde feint de comprendre. Inutile donc de raconter ces maladies à un semblant de médecin. Ensuite, le pays est plein de gens dont le bonheur consiste à voir des malheureux. Ceux-là suivent les séances des cours d’assises, et lisent des ouvrages désolants où l’homme fait du mal à l’homme. Je ne veux pas servir de délassement ou d’hygiène à cette espèce classée dans le genre humain. Depuis l’abolition des cirques et des amphithéâtres, les curieux du genre prennent leurs plaisirs comme ils peuvent. Ils se posent au premier endroit pour assister aux luttes du chrétien et de l’adversité. Chaque siècle civilisé a ses mœurs sauvages. Sachant cela, je me suis fait ressembler, en public, au plus fortuné des mortels. J’ai inventé l’hypocrisie du contentement ; ma figure rayonne de mensonges. Les curieux et les oisifs assis au boulevard Italien, sur les bancs du Cirque, auraient peine à reconnaître en moi un gladiateur dévoré par un monstre intime, aux griffes de feu. Je les trompe tous.

J’éprouve une certaine répugnance, cher Edgard, à vous entretenir maintenant de mes douleurs mystérieuses ; j’aimerais mieux vous les laisser ignorer ou deviner. Si je m’explique, c’est que je ne veux pas que votre amitié alarmée s’égare et s’attendrisse faussement sur des maux qui ne sont pas les miens. D’abord, pour vous rassurer, je vous dirai que ma fortune n’a point souffert de mon absence. À mon retour à Paris, mon notaire m’a ébloui