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alors mes lettres courent après vous, et comme vous ne savez rien de mes nouvelles tristesses, vous ne vous hâtez pas de m’écrire pour me consoler. Et jamais, cependant, je n’ai eu plus besoin de votre bonne amitié. La résolution que je viens de prendre me jette dans un si grand trouble ! J’agis à contre-cœur, mais je ne puis faire autrement ; il y a là une personne désolée, exaltée par sa douleur, qui m’entraîne, malgré ma volonté, dans son intérêt ; pourquoi n’ai-je pas là aussi une amie qui me retienne et qui m’arrête dans mon intérêt à moi !

Mais, après tout, qu’importe ma destinée ! l’espoir est à jamais perdu pour mes rêves, le triste mystère s’est enfin expliqué : M. de Villiers n’est plus libre, il doit épouser une de ses parentes. Oh ! il ne l’aime pas, j’en suis bien sûre, mais il est esclave de sa parole, et elle doit l’aimer. Peut-il sacrifier à une inconnue ses liens de famille et cet amour d’enfance ? Ah ! s’il m’avait aimée réellement, il aurait eu le courage d’accomplir ce sacrifice ; mais il n’avait pour moi qu’une tendre sympathie, assez vive pour lui laisser de longs regrets, pas assez forte pour lui inspirer une résolution pénible et cruelle. Ainsi deux êtres créés l’un pour l’autre se rencontrent un moment dans la vie ; se reconnaissent… et puis se quittent malgré eux, emportant chacun, dans leurs routes différentes, d’éternels regrets ; et ils languissent séparément, plus malheureux qu’ils n’étaient avant de se rencontrer, et ils végètent dans des régions opposées, ne s’attachant à rien, s’appelant de loin, mais vainement, tristes à jamais pour s’être vus un jour ! Ils sont comme ces passagers de divers navires qui se rencontrent une heure dans le même port qui échangent à la hâte quelques paroles sympathiques, et qui, le lendemain, séparément se rembarquent et s’en vont dans d’autres parages, sous d’autres cieux, ceux-ci au nord, ceux-là au midi, dans les déserts de neige, dans les déserts de feu, loin, bien loin les uns des autres, mourir. Est-il donc vrai que je ne le reverrai plus ? Oh ! mon