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ment, qui s’écroula en pluie de paillettes au bout de quelques secondes ; le thème était fait d’une vague senteur d’iris et d’un parfum d’acacia qui se poursuivaient, s’évitaient, se croisaient, s’enlaçaient avec une volupté et une grâce adorables. Si quelque chose en ce monde peut vous donner une idée approximative de cette phrase embaumée, c’est le jeu des petites flûtes dans la danse des Almées de Félicien David.

Pendant que le motif passait et repassait chaque fois avec une douceur plus impérieuse, un charme plus fascinateur, les deux parfums prenaient le corps de la fleur dont ils émanent ; deux iris et deux grappes d’acacia s’épanouissaient dans un vase d’onyx d’une transparence merveilleuse ; bientôt les iris scintillèrent comme des étoiles bleues, les fleurs d’acacia se fondirent en ruisseaux d’or, le vase d’onyx prit des contours féminins, et je reconnus le visage charmant et la taille gracieuse de Louise Guérin, mais idéalisée, passée à l’état de Béatrix ; je ne sais même pas si ses blanches épaules ne se continuaient pas en ailes d’ange. Elle me regardait avec une bonté si triste, une mélancolie si languissante, que je me sentis venir les larmes aux paupières : — elle semblait regretter d’être au ciel ; on eût dit, à l’expression de ses traits, qu’elle m’accusait et me demandait pardon.

Je ne vous promènerai pas à travers les prodiges de ce rêve merveilleux fait les yeux ouverts ; l’harmonie monotone du tarabouk et du rebeb me parvenait vaguement et servait comme de rhythme à cet étrange poème, qui rendra désormais pour moi les livres d’Homère, de Virgile, d’Arioste et du Tasse, aussi ennuyeux à lire que des tables de logarithmes. Tous mes sens étaient déplacés ; je voyais la musique et j’entendais les couleurs ; j’avais de nouvelles perceptions, comme doivent en avoir les êtres qui habitent une planète supérieure à la nôtre ; mon corps se composait, à mon gré, d’un rayon, d’un parfum ou d’une saveur ; j’éprouvais le bien-être des anges traversés par