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bien elle, mademoiselle de Bressuire. Une personne superbe, mais qui gâte sa beauté par l’affectation.

— Votre lorgnette est aveugle, vous dis-je, mon cher monsieur, nous connaissons mademoiselle de Bressuire.

— Ce n’est pas elle, madame a raison. Cette demoiselle, que tout le monde regarde, et qui, ce soir, est la véritable favorite de l’Opéra, excusez ce jeu de mot puéril, cette demoiselle est espagnole. Je l’ai vue au bois de Boulogne dans la calèche de M. Martinez de la Rosa. On m’a dit son nom, mais je l’ai oublié. Je suis brouillé avec les noms.

— Mesdames, — dit un jeune homme qui rentrait dans la loge avec fracas, — je viens de questionner l’ouvreuse. Nous sommes fixés. C’est une demoiselle d’honneur de la reine des Belges.

— Et son nom ? — demandèrent cinq voix.

— Elle a un nom belge que l’ouvreuse m’a défiguré, un nom comme Wallen ou Meulen.

— Nous voilà bien avancés !

Au mouvement général des loges et du balcon, il était aisé de comprendre que les mêmes entretiens s’engageaient partout dans la salle, et sans doute à peu près dans les mêmes termes, car le monde ne varie pas trop ses formules en ces sortes d’occasions. Un accord d’instruments ramena subitement vers la scène l’attention générale, détournée sur une seule femme depuis le lever du rideau. J’avais été forcé moi-même aussi de prendre intérêt à cet épisode, et ne voulant donner, dans ma réserve habituelle, que quelques regards rapides et dirigés au hasard, je venais à peine de découvrir cette jeune femme, ainsi livrée aux conjectures du monde élégant.

Elle était dans une loge de premières, et la distinction naturelle de sa pose fut la première qualité qui me frappa. Placée au centre de l’admiration, elle supportait son triomphe avec l’aisance d’une femme habituée à sa beauté.