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caprice ; l’idée de lui avoir déplu un moment me navrait de douleur. Je ne sais si la lettre qu’il parcourait me servait de justification à ses yeux, s’il la trouvait assez loyale, assez digne, mais sitôt qu’il eut achevé de la lire, il m’appela : Irène, dit-il, et je fus bien doucement émue en l’entendant prononcer mon nom véritable pour la première fois. J’allai le rejoindre dans la chambre où il était resté ; il me tendit la main en me disant : Pardonnez-moi de vous avoir crue un moment capricieuse et légère, je vous pardonne bien, moi, de me faire jouer vis-à-vis d’un ami un rôle odieux. Ensuite, d’une voix plus tendre, il me dit qu’il comprenait toute ma conduite et que j’avais eu raison ; que, lorsqu’on n’était pas sûre d’aimer son prétendu ou d’être aimée de lui, il était permis de vouloir l’éprouver, que cela était juste et honnête. Alors, il m’a demandé, en souriant, si je ne voulais pas à son tour l’éprouver et le quitter un mois ou deux pour savoir si j’étais aimée. — Oh ! non, non, me suis-je écriée ; je crois en vous ; je ne veux pas vous quitter… Oh ! quand on s’aime, comment peut-on vivre sans se voir ? comment ose-t-on perdre un jour ?

Je me rappelle ce que vous m’avez dit, quand j’ai abandonné M. de Monbert. Maintenant, je reconnais combien vous aviez raison : l’amour véritable est confiant ; il fuit le doute, car il ne peut le supporter.

Cette triste impression qu’il ressentit, en apprenant que Louise Guérin était Irène de Châteaudun, fut le seul nuage qui passa sur notre bonheur. Bientôt la joie revint à nous vive et pure. Et nous avons parlé de vous tendrement ; c’était lui, ce pauvre blessé, qui vous a donné tant d’inquiétudes ; c’était lui, ce jeune mari si parfait, que vous aviez choisi pour moi et que je refusais avec une si superbe insolence !

Ah ! ma bonne Valentine, que je vous remercie de l’avoir soigné comme une sœur ; que vous avez été pour lui noble et charmante ! je voudrais, pour votre récompense,