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leurs contorsions et leurs grimaces. Cette teinte de catacombe est destinée à faire valoir les joues de cire et les yeux bistrés de la dame qui a plutôt l’air d’être le fantôme que la maîtresse de ce logis ; elle n’y habite pas, elle y revient.

N’allez pas croire, cher Roger, d’après ce commencement un peu funèbre, que votre ami ait été la proie d’une goule, d’une lamie, d’une stryge ; la marquise est, après tout, une assez belle femme ; elle a des traits nobles, réguliers, quoique un peu juifs, ce qui l’induit en turban plus souvent et de meilleure heure qu’il ne le faudrait ; elle ne serait que pâle, si au lieu de blanc elle mettait du rouge ; elle a de belles mains aristocratiques, un peu frêles, un peu fluettes, trop chargées de bagues bizarres, et son pied n’est guère plus grand que son soulier, chose rare ! car les femmes, en matière de chaussure, ont rendu faux l’axiome géométrique : Le contenu doit être moindre que le contenant.

C’est même, jusqu’à un certain point, une femme de bonne compagnie et assez bien située dans le monde.

Je fus reçu avec toutes sortes de tendresses, bourré de petits gâteaux, inondé de thé, breuvage sur lequel je professe les mêmes opinions que madame Gibou, et assassiné de dissertations romantiques et transcendantes. J’ai la faculté de m’abstraire complétement de pareilles conversations, en pensant à toute autre chose, en considérant avec une attention profonde les facettes d’un flacon de cristal ou de quelque objet analogue ; cette attitude rêveuse toucha la marquise, qui me crut absorbé dans un gouffre de pensées. — Bref, j’eus le malheur de la charmer, et la faiblesse, comme la plupart des hommes, de me laisser aller à ce commencement de bonne ou plutôt de mauvaise fortune ; car cette toile décrochée ne me plaisait pas du tout, quoique d’un assez bon style et d’une conservation suffi-