Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/57

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treuse, qu’elle était allée visiter. Je marchai droit à l’hôtelier, qui tirait un de ses porcs rétifs par la queue, rappelant assez bien, dans cette position, un des plus plaisants dessins de Charlet. Bon, bon, me répondit cet homme, tous les voyageurs sont partis, et pour ce qu’il en reste… — Il en reste donc ? demandai-je. — J’insistai et j’appris enfin qu’il y avait une Anglaise dans une des chambres du second étage. Je hais l’Angleterre ; je la hais bêtement, à la façon des vieux de la vieille. L’Angleterre est encore pour moi la perfide Albion. Raillez, vous en avez le droit. Je la hais de tout le vivace amour que je sens là pour mon pays ; je la hais, parce que mon cœur a toujours saigné des blessures qu’elle a ouvertes au sein de la France. Oui ; mais lâche est celui qui, pouvant secourir une créature de Dieu, se tient les bras croisés, sourd à la pitié ! Mon ennemi en péril de mort est mon frère. Au besoin, je me serais jeté à l’eau pour sauver Hudson Lowe, quitte à le provoquer ensuite et à tâcher de le tuer comme un chien. Le rez-de-chaussée de l’auberge était envahi par le feu. Je prends une échelle, je l’applique contre la façade et je monte à l’assaut de la fenêtre que je me suis fait désigner. Sur le sol hospitalier de la France, un étranger ne doit point périr, faute d’un Français qui se dévoue pour lui. Comme Antony, d’un coup de poing je brise une vitre, je soulève l’espagnolette. Me voici dans un corridor que n’a point encore gagné l’incendie. Je me précipite sur une porte ; une voix révoltée me crie : L’on n’entre pas ! J’entre, je cherche la jeune étrangère, et, dieux immortels qu’aperçois-je, dans le négligé charmant d’une beauté réveillée en sursaut ? Vous l’avez nommée, c’était elle ! Oui mon cher, c’était lady Penock ! lady Penock qui m’a reconnu de son côté et qui pousse des cris furieux — Madame, lui dis-je en me détournant avec un sentiment de respect bien sincère et bien légitime, ce