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sur la colline, ou dans le bois, ne m’annonce le passage de l’homme ; il faut pourtant que je l’habite, sans y trouver la trace du sentier frayé qui conduisait les autres avant moi. Hier, j’assistai à la représentation du Misanthrope. Voilà donc un homme amoureux, me disais-je, et peint de main de maître, affirme-t-on. Cet homme écoute des sonnets, — fredonne une chansonnette, — se dispute avec un mauvais écrivain, — cause longuement avec ses rivaux, — soutient une thèse philosophique avec un ami, — traite d’une façon assez brutale la femme qu’il aime, et au dénoûment il se console en annonçant qu’il va s’ensevelir dans un asile écarté.

J’élèverais à mes frais un second monument à Molière, si Alceste m’accordait la grâce de me faire aimer de son amour.

Il y a, dans l’amour, des supplices dont je ne vois l’inventaire nulle part, et qui portent les noms les plus vulgaires et les plus innocents du monde. Un poète anglais fait dire à son héros amoureux :

Un jour, Dieu, par pitié, délivra les enfers
Des tourments que pour vous, madame, j’ai soufferts !

Je croyais que le poète allait développer son idée ; malheureusement la tirade se termine là. C’est une vague poésie qui annonce des tourments inconnus. Ce procédé d’ailleurs est assez général en pareille matière. Tout se borne à des plaintes gonflées de brume et de syllabes noires. Aucun moraliste ne précise sa douleur. Le peuple des amoureux s’écrie en chœur qu’il souffre horriblement. Chaque souffrance attend encore une analyse et un nom.

Comme exemple, je vais, mon cher Edgard, vous citer un de ces supplices dont vous ignorez encore le nom et l’espèce, heureux mortel !

L’antre de ce supplice est au bureau de la poste restante,