Page:Girardin - La Canne de M. de Balzac.djvu/206

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La raison, dites-vous, veut que l’on me marie ;
Mais, si jeune, faut-il m’immoler à sa loi ?
Dieu me dit d’espérer… Ah ! pour l’âme qui prie,
La raison, c’est la foi !

Pourquoi me repousser de votre aile avant l’heure ?
Mon front comme autrefois est timide et serein.
Je suis heureuse ici, ma mère ; quand je pleure,
Ce n’est pas de chagrin.

Loin d’un monde agité mes jours bénis s’écoulent ;
Sur un sort qui me plait d’où vous vient tant d’effroi ?
Vous dites qu’on se bat, que les trônes s’écroulent :
Je ne le sais pas, moi.

La douleur pour mon âme est encore un mystère ;
Mes lèvres du banquet n’ont goûté que le miel :
Je ne vois que les fleurs et les fruits sur la terre,
Que l’azur dans le ciel.

J’ai placé ma demeure au-dessus de l’orage ;
J’entends le vent gémir, mais je ne le sens pas.
Je n’ai que la fraîcheur du torrent qui ravage
Les plaines d’ici-bas.

La rose des glaciers, qu’un noir rocher protège,
Ainsi fleurit sans crainte à l’abri des autans,
Et dans ces champs maudits, dans ces déserts de neige,
Trouve seule un printemps.

Ainsi, dans ces vallons de misère profonde,
Dans ces champs d’égoïsme où rien ne peut germer,
Dans ce pays d’ingrats, dans ce désert du monde,
Je fleuris pour aimer.