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— Quelquefois. Nous nous enfoncions dans la sape pour les voir plus distinctement. Au-dessus d’eux, en plein jour on apercevait des étoiles. En septembre, un avion français avait été abattu juste devant notre ligne. Clermont, les autres sergents de la compagnie, le lieutenant, nous avions fait le serment de ne plus nous baisser de l’après-midi. Nos mères auraient été tranquilles, ce jour-là, si elles avaient été au courant…

Il me questionna encore.

Mon langage le surprenait un peu. Il le trouvait, non, il ne le trouvait pas tout à fait sympathique. Il eût préféré, chez un soldat, plus de gestes. Il ne savait pas que nous, lieutenants, qui vivons avec nos hommes, chaque fois que nous leur parlons, nous devons penser que c’est la dernière phrase qu’ils entendent ; malgré nous elle ressemble à la première que nous leur donnerons après leur mort ; en sorte que notre voix est mate, notre pensée gonflée, et nous ne disons jamais rien, dans nos escouades, qui ne puisse être entendu et compris par une ombre.

Il n’était pas le premier à s’en étonner. Souvent nos colonels, guidés dans la tranchée par un chef de section inconnu, surpris de sa parole sans argot, de ses pensées sans haine, le ramenaient au camp d’instruction et l’y chargeaient de faire les conférences sur la discipline, sur les fusils lance-grenades ; des ombres elles-mêmes eussent aimé, l’écoutant, se ranger par sections, appuyer leurs grenades,