Page:Giraudoux - Amica America, 1918.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
60


crier, nous acclamaient d’un clignement d’œil. Puis vint Tamworth, pays des mulots, où les chouettes sont si grasses qu’elles ne peuvent se percher de face car elles basculeraient. Puis vint Sandwich où un Lithuanien, agitant son drapeau national, protestait tout seul contre la conscription. Alors vint le lac Asquam, et cette terrasse où depuis je suis étendu, au pied d’un bouleau fluet et géant, qui n’a qu’une touffe à son sommet et qui chavirera s’il lui pousse une autre feuille. J’ai pour hôtesse Mrs Green, la fermière, qui porte un grand sarrau rayé, des cheveux gris en nattes sur le dos, un lorgnon, mais qui tire à la dérobée la queue des veaux et se bat avec le coq. Quand un mot s’attarde dans mon stylo, je le secoue de ma chaise longue dans le lac… Mais parfois c’est en moi qu’il hésite, et il faut que je me lève moi-même, que je m’accoude, parfois me penche.

Avec qui je suis ? Avec deux amis, un forestier, et un poète australien. Le matin est à Carnegie, le forestier. Dès six heures, d’une nage droite à travers les îles, où chaque propriétaire impose une heure différente selon qu’il veut voir lever ses enfants tôt ou tard, il me conduit à son district. Les bêtes silencieuses s’éveillent dans les bois qui ont encore leur nom indien, le rat musqué se lève, le héron bleu vole d’une presqu’île à une île, de l’île à un îlot, vole vers midi. Nous débarquons à la hâte, évitant le naufrage, car un sapin coupé glisse déjà du haut du toboggan vers le lac ; nous allons à la scierie par un chemin jadis couvert de sciure, mais qu’il a fait goudronner depuis qu’il y perdit sa chaîne d’or. Il