Page:Giraudoux - L’École des indifférents.djvu/16

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les serviteurs et de les mettre en joie. Dans un thé, il appelle soudain la verseuse, avec le timbre, avec les bras, et, indigné, lui indique du doigt ma tasse, en la conjurant d’intervenir, que je prends mon thé beaucoup trop fort, que la maison est responsable. Au restaurant où nous déjeunons chaque jour, la caissière cesse pour lui seul de suivre la pensée qu'elle a eue dans son enfance, et l’avertit en souriant que je suis là. Il feint de me chercher partout, et s’assied à une table vide. Mais Thérèse, notre bonne, arrive au galop sur lui :

— Il est là ! Monsieur Etienne !

— Qui est là ? votre bon ami ?

Elle le guide en éclatant de rire, il s'attable avec fracas, il réclame contre un monsieur qui va dévorer tout le pain.

Cela a pu m'amuser. Cela m'agace. Certes je l’aime par moments comme on aime un ami. Dès que je ne l'aime plus, je crois que je le déteste. Il y a parfois, dans son sourire, tant de morgue que me monte aux lèvres le mot qui l’humiliera, tant de confiance dans son allure que j'en suis à souhaiter un fiacre et de la boue,.... ou simplement la pluie, car