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LE FAIBLE BERNARD 2O9

(les mots que vous ne compreniez plus. Ainsi Bernard, de sa fenêtre, au clair de lune, con- templait ce cachet sans initiales sur l'impéné- trable nuit, et se trouvait gêné par un tel calme, et se sentait emprunté devant le firmament, et ne pouvait comprendre toutes les émotions de son enfance qui revenaient ce soir vers lui et ne le touchaient plus, comme des pigeons voyageurs longtemps égarés qui retrouvent leur colombier en ruines. Chacun de ses sentiments s'était engourdi à mesure que son imagination devenait plus active et plus précise. Ainsi qu'une liqiieiir injectée dans une plante la conserve, mais la tue, il ne savait quelle étude malfaisante avait un beau jour desséché les joies et les peines de sa jeu- nesse et les lui laissait là, intactes et décolorées conmie des pièces d'herbier. Il se rappelait, il ne pouvait revivre le temps où il se mettait lui-même au lit, en plein jour, pour pleurer sans avoir le souci de se tenir en équilibre; où son chat venait le rejoindre; où ses regards, peu à peu éclaircis, pour traverser le gouffre immense du plafond, suivaient une fente ca- pricieuse dont les méandres faisaient désespé-

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