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LE FAIBLE BERNARD 2 23

la terre ronde, il sentait en pleine clarté des étoiles au-dessus de lui; il traînait comme un boulet la force qui le rivait au sol. îl animait le monde d'un faux mouvement; du tiain qu'il proclamait immobile, il lâ- chait vers l'horizon, comme une élastique qu'on détend, les villages, les bosquets que ses yeux avaient retenus une seconde. Il éprouvait aussi le besoin de mettre un drame dans sa pensée :

— Regarde cette femme, Bernard.

— Ne la regarde pas. Te voilà au carre- four de deux chemins et perdu à jamais si tu choisis le plus facile. Cette femme est celle que tu rencontras la veille de son départ. Elle te sourit. Ne la regarde pas. Toi qui as vingt-trois ans, toi qui reconnais aux plis de leurs paupières les hommes intelligents, toi qui fus averti, par des pressentiments, de deux ou trois terribles catastrophes, garde ta solitude, et ta dignité. Tu seras grand : le ciel se fait pour toi plus bleu, la plaine plus verte. Pour toi frémit la campagne de Vir- gile et de Ronsard. Au bord des nids trop ronds bégayent des oiseaux ovales. Les

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