Aller au contenu

Page:Giraudoux - L’École des indifférents.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas dit que vous étiez poète. Vous écrivez ? Voilà le soleil qui file à l’horizon. Quel vœu gigantesque vais-je bien faire? Voilà la petite nuit. Les boutiques se ferment. Entre les devantures, les glaces restent prises comme des flaques de jour encore trop profondes. C’est par de tels soirs, où la tristesse et la joie habituelles se déposent au fond du cœur, que je vois clair en moi-même. Poète? Dieu me préserve de faire des vers, d’écrire ce que je pense en lignes, de passer à leur laminoir ma vie. Il me semble, au contraire, que je m’écarte insensiblement des lettrés et que je ne les juge plus selon les mesures qu’ils inventèrent. Ce qu’ils appellent l’intelligence, cette vivacité à parler ou à agir comme le serait un pédagogue parfait, avec ses ironies superficielles, ses silences appuyés, son enthousiasme revêche, est une monnaie qui ne peut avoir cours que chez les médiocres. Quand ils s’ingénient à trouver le mot d’esprit ou le mot pittoresque que chaque circonstance réclame, ils me paraissent aussi futiles que les joueurs de bilboquet. Dès qu’ils se hasardent dans la vie, myopes, avec des bottines