Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/130

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rait, heureuse et mécontente à la fois d’être là à l’heure, ainsi que celui qui ouvre les yeux un peu avant que le réveille-matin ne sonne.

Jean rejeta d’un coup sa couverture, et, les paupières à demi décousues, courut, titubant, vers la fenêtre. C’était bien la foire, déjà reine, mais prudente encore et discrète : une femme à l’aube de sa fête. Des carrioles passaient, aux roues engourdies, étirant leurs brancards ; des camions, dont les conducteurs somnolaient et dont la lanterne, seul vestige de la nuit, brûlait toujours. Les maquignons se taisaient comme s’ils avaient fait un vœu, et ils portaient en effet le bâton des pèlerins. Des génisses meuglotaient, jouant au cheval. Les yeux des cochons étaient encore plus petits que la veille, affleurant ainsi que des truffes dans un pâté, et ils marchaient pas groupes, flanc à flanc, les queues enroulées et renouées comme des gouvernails inutiles. Dans les panières, le beurre à peine né jutait sous des feuilles de chou ; les yeux des poules couvaient sous un blanc d’œuf léger ; sur le siège, les mères assoupies allaitaient leur enfant d’un sein élastique que les cahots ne troublaient pas et les hommes marchaient à la tête de