Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/134

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paupières si tirées que la bouche était entr’ouverte, dans un lit aussi large que sa chambre à lui, et Jean le réveillerait en tirant les rideaux. Soudain, un coup le frappa au cœur. Le petit duc, devant une boutique de gâteaux, faisait écrire son nom sur un cochon en pain d’épices. Jean courut vers lui.

— Oh ! Jacques, tu ne m’as pas attendu !

L’autre ne s’excusait même pas et lui tendit à regret la main. Jean, malgré son chagrin, remerciait le hasard de l’avoir ainsi guidé. S’ils ne s’étaient pas rencontrés maintenant, c’en était fait de son bonheur pour tout le jour, pour toute la foire, et il frémissait à cette pensée. Il devinait les intrigues de Bavouzet, le mal qu’on avait dit de lui, le désir de son ami de connaître toutes les filles et de jouer pour prouver qu’à lui seul il les valait tous. Et justement, la foire était son domaine ; il n’était pas un propriétaire de baraque qui ne le saluât, et le petit duc verrait les deux gendarmes venir vers lui et lui tendre la main. Il leur répondrait gentiment, mais en se moquant qu’ils ne fussent que des gendarmes à pied :

— Ça n’est pas beau de venir à la foire pour vendre vos chevaux.