Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/215

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travailleur et honnête, mais trois ou quatre souvenirs infamants se dressèrent au milieu de son existence comme les rocs au milieu de sa ville natale, et ils dominaient jusqu’aux souvenirs modestes que leur ombre n’atteignait pas. Il y avait un dimanche de septembre, où il avait insulté sa cousine, grossièrement, sans provocation ; il y avait un soir d’études, au lycée, où il avait dérobé une collection de timbres ; il y avait le jour du baccalauréat, où la petite rue du Fer-à-Cheval, à Clermont, avait eu sa visite, et sa seule excuse était que ce fût le baccalauréat de philosophie et non celui de rhétorique ; il y avait enfin le jour où il avait avalé du hachisch ; où son corps s’agrippait à chaque objet et s’étirait ; où sa jambe collée au trottoir s’allongeait comme de la guimauve ; où l’air passait au laminoir ses bras, comme l’eau d’une baignoire. Il y avait aussi, il y avait… mais le train s’ébranlait et le rideau tomba.

Un accident était d’ailleurs bien improbable, car pour plus de sûreté, la locomotive suivait presque toujours la route, et elle sifflait le long des tunnels, comme ces voyageurs qui chantent, quand la peur les prend, dans la forêt.