Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/33

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rer deux fois chaque chagrin, car ses prunelles aussi étaient rouillées. Jamais je n’avais vu d’yeux moins profonds. Ils étaient tout en surface et un oiseau les aurait bus. Ce n’étaient pas de ces yeux qui vont jusqu’au fond de la tête chercher des larmes, mais je m’y voyais cependant tout entier, car les petites flaques des routes mirent mieux le soleil que les puits profonds.

Soudain, elle recula ; Urbaine avait surgi derrière moi, prenait ma main et l’essuyait, saisissait les fioles et les jetait une à une sur le chemin. Elles s’écrasaient dans l’eau en taches rouges et bleues et l’on eût dit que les bocaux, curieux, se reflétaient jusqu’aux pieds de l’amie du père Voie. La dernière, une petite bouteille trapue et têtue, resta intacte. La femme la ramassa et se mit à pleurer, menaçant Urbaine.

Celle-ci attendait, muette, les bras sur les hanches, encadrée par la fenêtre. Le père Morin s’approchait, goguenard. Le maréchal-ferrant arriva, les bras retroussés, comme s’il allait rouer quelqu’un ; son compagnon le suivit, un fer au bout d’une pince qui grésillait sous la pluie. Puis vint le serrurier, avec un marteau. On avait l’air de préparer un supplice.