Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/36

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droit, ils battent l’oreiller trop fort. Moi, caché par mes draps, je n’ai qu’à fermer les yeux pour être naturel et impassible.

Je boude ; mais je n’ai plus, comme autrefois, ce remords qui prolongeait et énervait ma bouderie ; voilà qu’elle facilite mes actes, mes pensées, comme un pouce blessé et coiffé d’un tampon vous oblige à simplifier vos mouvements. Mon jour, mon jour limpide s’écoule comme un fleuve sans îles et sans rives. Voilà que je me désintéresse de tous les événements qui coupaient autrefois ma vie, la perte de la clef de la cave, la perte d’un dé, — je sais d’ailleurs où il roula. Je me désintéresse d’Urbaine, de tout ce qui touche à Urbaine, c’est-à-dire du vent, contre lequel elle ferme les persiennes ; de la nuit, qu’elle signale en revenant de l’office ; de l’incendie d’une petite ferme, qui brûle au milieu des sapins. On ne sait pas si les chèvres sont brûlées.

Parfois vient une femme qui ignore que nous boudons, et qui bavarde, nous unissant malgré nous dans sa parole et dans ses regards, une vendeuse de fraises, qui sent le fromage blanc ; une couturière, dont les mains tapotent le long de mon lit, comme si, au lieu de les border, elle