Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/90

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Je t’y attends à boire mon vermouth, et tu me diras comment la sainte a pris l’histoire.

Il me renfonça l’épaule gauche, qu’il prétendait plus haute que la droite. Puis il me donna un coup sur le bras, que je balançais. Enfin, ma mâchoire inférieure avançant, il la remit en place d’une chiquenaude. J’étais fier qu’il perdît ainsi son temps avec moi, car on nous voyait des ateliers et il n’est pas une fille qui ne l’aime. Il les embrasse en pleine rue, et, tous les quinze jours, il en a une nouvelle. D’ailleurs, il n’y avait sur lui aucune prise : on ne pouvait le vitrioler, il avait déjà eu la variole et en portait les marques ; impossible aussi de l’épouser, car il était paresseux et dormait parfois des semaines entières, gémissant et se battant pendant son sommeil. Vers le huitième jour, sa mère le secouait : — Eh, fils Millet ! disait-elle, lève-toi ! Voilà qu’il est temps de te reposer.

Estelle ne parut pas surprise de nous voir arriver. Elle vint presque joyeuse nous tendre la main. L’abbé la refusa :

— Ma fille, dit-il, entendons-nous. Il sera toujours temps de se serrer les mains. Mais nous avons eu ce matin la visite de votre cousin. Il