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RETOUR D’ALSACE

Un cavalier surgit derrière nous et prie le colonel d’attendre le général : Nous dépêchons les fourriers aux compagnies. Un second cavalier ordonne de continuer. Un troisième, un quatrième, arrivent ainsi à toute vitesse, de l’on ne sait quel centre, mettent pied à terre, et s’alignent sur nous, en retrait l’un sur l’autre, comme si la cavalerie divisionnaire avait pour mission, dans les batailles, de former des circonférences. À part Chalton, qui n’a pas trouvé sa compagnie, aucun des trois fourriers n’est revenu. Nous envoyons les dragons en éclaireurs, mais rien à droite, rien à gauche, et, devant nous, à cinq cents mètres, la colline et la forêt. Il n’y a que nous six dans la vallée, et il paraît que l’on nous voit de partout. La fraîcheur tombe ; la première couche de rosée se pose sur nos fusils ; l’homme du projecteur tire un dernier coup de canon, le clocher d’Enschingen se dresse soudain à notre droite, tout en arrière ; une perdrix se lève : les compagnies ne sont pas passées là. Nous ralentissons le pas. Une dernière fois nous franchissons le ruisseau, mais un long rectangle de carottes nous décourage. Nous cédons à leurs taillis impénétrables ; nous n’allons pas plus loin ; nous les laissons brouter une minute par les chevaux ; un dragon les goûte lui-même ; agenouillés dans leurs feuilles odo-