Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
RETOUR D’ALSACE

Les Allemands ne se retourneraient pas pour crier adieu… Il pleut par ondées. Les montagnes ramènent jusqu’à leur base de belles forêts bleues sur lesquelles l’eau ne prend point. Les vallons s’élargissent, nous y plongeons des regards curieux, mais l’averse les brouille. Les bourgs sont presque silencieux et l’écho des voix alsaciennes à nos chansons devient plus faible à mesure que s’enfle l’écho de la montagne. Des chemins de traverse débouchent les troupes silencieuses qui n’ont pas passé à Thann et qui cheminent près de notre bruit sans s’y mêler, comme la Saône dans le Rhône. De temps en temps, un soldat s’échappe, pénètre dans une arrière-boutique où sont assemblées de muettes personnes et crie : Vive Thann ! Et les habitants de la ville, ville jalouse de Thann, roulent les yeux sans protester. Nous suivons la voie ferrée, qui n’a plus d’écriteaux, car tous étaient allemands, et où marchent les boiteux qui évitent la bousculade. Près d’un passage à niveau, qu’il ouvre seulement aux éclopés, je rencontre Prosper, maintenant éclaireur d’artillerie. Son cheval, qui est bien connu, qui est Jean de Nivelle, depuis deux heures est de garde derrière cette énorme barrière, et doit se rappeler le départ du Grand Prix. Prosper me fait souvenir qu’à