Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/129

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brutal, des chênes Louis XV ombrageaient des chiens Saint-Germain Henri II ; et si quelqu’un mourait sur son chemin, il le saluait profondément, disant pardon à la mort quand elle le bousculait. Moi, sur une colline qui menaçait à chaque instant de me rejeter comme le cercle tournant de Magic-City, je voyais, cramponné à l’arbre d’Adam lui-même, s’accoupler tous les contraires que j’avais jusque-là trouvés séparés, le pin au palmier, le phonographe au rossignol, la Sprée au Fleuve Bleu ; je ne distinguais des hommes et des animaux que leur instrument de fécondation ou de destruction, la trompe gigantesque des moustiques, le formidable pistil des zinnias, l’h aspirée de mes compatriotes ; parfois, j’étais pris de rage, c’était que la Zugspitze, la plus haute montagne allemande, n’eût que 2.963 mètres ; parfois de ravissement, c’était que Louis II de Bavière pressait Wagner sur sa poitrine dont les décorations se collaient automatiquement à la poitrine de Wagner, — alors, je prenais une tendre blonde dans mes bras et la faisais mienne en pleurant. Puis, la colline arrivant à me désarçonner, car j’avais dû lâcher l’arbre en ce dernier événement, je m’éveillai avec une névralgie et des fourmis au pied, faibles agitations qui seraient sans doute devenues dans mon rêve le désir d’épouser Trieste ou de jouer du luth sous le rocher de la Lorelei, et la vie journalière, autrement compliquée, recommença pour moi avec les mouches effilées et le service à déjeuner en lézard.

Je n’eus point une seule fois, dans la semaine qui suivit, la chance de me trouver seul avec Kleist ; son histoire était devenue légendaire, et les visiteurs