CHAPITRE SIXIÈME
Kleist était pour la première fois à Berlin. Il en
était épouvanté. Cette ville était le démenti le plus
formel à tout ce que ses maîtres lui avaient affirmé
de l’Allemagne. Non seulement il n’y découvrait aucune
de ces grâces qui distinguent en Europe les futures
ou anciennes capitales et leur prêtent un charme
nettement féminin, mais aussi, nourri dans le Moyen
Âge, il était habitué à voir dans le plan primitif et
dans la situation même de chaque cité digne de ce
nom une réponse à des nécessités vitales ou à ces
questions divines sur l’amour mystique et l’amour
terrestre, la forme et la matière que l’on se posait entre
architectes de l’an mille à l’an quinze cents. Or il paraissait
impossible de prétendre que Berlin fût un lieu
géométrique ou providentiel, que ce fût entre le froment
et les pommes de terre, ou les épices et les eaux-de-vie,
ou la statuaire protestante et la gravure en
couleurs, et à l’âme qui n’interroge jamais en vain
Rothenbourg ou Würtzbourg, Berlin ne répond rien.
Aucune pensée divine n’ayant présidé à sa fondation,
Berlin est une ville hantée. Elle paraît à première
vue sauvegardée, par son terrain plat, sa banalité,
son plâtre neuf, de ces exorcismes qui pèsent sur