Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/165

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même, naturalisés Hauts-Silésiens et étaient partis là-bas. Par orgueil ou par calcul, tout Berlin semblait croire que le patriotisme est un sentiment périmé (théorie votée dans la chambre 29 de l’Adlon), que les frontières n’existent pas (axiome accepté au 261 de l’Esplanade). L’Allemagne ayant supprimé ses frontières, il restait seulement à obtenir, avec l’aide de l’Angleterre (Hôtel Kaiserhof, 12), que la France et la Pologne supprimassent les leurs, et la victoire ainsi revenait du bon côté.

À part l’Empereur et le Kronprinz, je rencontrais à Berlin tous ceux que j’y avais vus voilà quinze ans. Alors qu’à Munich, tous mes amis bavarois étaient morts, sculpteurs ou écrivains, et même chefs d’orchestre, Stuck, Hildebrandt, Wedekind, Ruederer, Mottl, le hasard m’avait ici relié à ceux qui devaient survivre à la guerre et à la révolution. J’apercevais même des Allemands qu’il fallait aller autrefois à New York ou à Paris poux rencontrer. Les compositeurs, les architectes épars à l’étranger, ceux qui n’avaient qu’à demi compris la guerre, étaient revenus en chercher l’explication dans leur pays et devaient y séjourner, l’explication variant chaque semaine. Certains devinaient que la houle germanique devait repartir vers l’univers d’une nouvelle source. Certains, par piété filiale, voulaient voir et honorer le corps vaincu de leur pays. Pour moi, sous ce soleil nordique qui modifiait mon ombre, je m’amusais à croire comme autrefois, lors de mon premier voyage, que c’était l’ombre d’Hoffmann qui m’escortait dans sa ville. Entre les tilleuls et la Leipzigerstrasse, sur l’itinéraire favori qui le menait à l’unique sous-sol qu’ait pu obte-