Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/177

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attendu les dix années, les dix secondes finales ? Tous ceux qui pouvaient tendre hommage à Gœthe n’étaient pas là, les ligues d’étudiants ayant menacé de mort la plupart des écrivains autrichiens, Schnitzler ou Hermann Bahr. Faute des dix secondes, les représentants de la future Allemagne, encore imberbes collégiens, occupés à obtenir l’insertion de leur premier poème ou de leur premier article dans la Deutsche Rundschau, manquaient aussi. Mais je voyais tous ceux qui, avant que les dix secondes fussent écoulées, fondateurs de l’Allemagne moderne, destructeurs de l’Allemagne moderne, allaient mourir. Deux centenaires qui avaient pu rencontrer Gœthe, car ils étaient de Weimar, et qui avaient pu troubler par vagissements une conversation avec Eckermann, étaient là, silencieux aujourd’hui, isolés au premier rang entre cette salle noire qui se levait et s’asseyait avec la force d’une marée et le souvenir et la statue de Gœthe, inertes mais apaisants comme les tampons qu’on laisse aller entre le navire et le quai. On fit l’appel. Personne ne pouvant paraître masqué devant Gœthe, la plupart des grands écrivains et acteurs à beaux pseudonymes répondaient à leur vrai nom d’Aaron ou de Rosenwald. Tous avaient attendu cette heure comme si elle devait apporter un repos ou un secours à l’Allemagne. Chacun attendait de chaque orateur qu’il lui passât par l’exemple de Gœthe une solution à son angoisse individuelle. Les plus superstitieux étaient prêts à suivre le précepte qu’eussent donné les initiales des principales œuvres de Gœthe mêlées en une phrase. Pour la première fois, sans aucune réserve, ces chefs de parti catholique assez