Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/201

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mine. L’Allemagne est un pain sans levain qui me nourrit l’âme. Regarde notre maison, ma reine ! Vois ces possédés ! Tout fonctionne en nous déjà de cette vie nouvelle que nous ne partageons pas encore. Que Zelten nous tienne à l’écart, s’il veut tenir la rate à l’écart de la course ! Tiens, regarde ton Kleist qui s’en va au conseil… Je vais lui crier qui je suis !

Kleist, en effet, partait, fermait sa porte à clef, portant sur le bras une couverture, allant au pouvoir suprême aussi triste que le candidat va en loge aux Beaux-Arts, pour tirer des flots Vénus ou des sillons l’Agriculture. Il se retourna vers celui qui criait Lieviné Lieven, fit signe que ce n’était pas son nom, et partit. Il avait une musette et de quoi manger trois jours, comme le soir où il était parti pour le front français.

— Excusez-moi, dit soudain la voix d’enfant derrière moi, je ne vous croyais pas chez vous. Vous y êtes d’ailleurs, à ce qu’il me semble, aussi peu que possible ?

Sur la reine de Lieviné Lieven, sur une chair ensoleillée, mes yeux posaient la petite tâche grise de Kleist, qui fondit bientôt dans tant d’éclat. La reine avait vingt ans, et elle était vêtue comme une Parisienne à huit heures du soir. J’avais devant moi le contraire d’Eva. Au lieu de chaque chiffre accroché à chaque membre et à chaque trait de la parfaite Allemande, il y avait, indiquée et lisible sur chacun de ceux-là, sa valeur dans le bien et dans le mal. Ces bras savaient mieux étreindre que les bras de Lisette Friedlaüder elle-même. Cette bouche venait seconde pour embrasser après celle de la reine de Saba. Ce