Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/209

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exigences que les humaines ; à exercer, mais sans nuire aux autres et par gymnastique, les qualités qui seraient nécessaires si la vie était juste, agréable et éternelle, telle que le courage, l’activité, quelque parcimonie et la bonté. (Ici, j’espère bien que l’embouchure de la Seine me fut ouverte.) La France est actuellement le pays le plus civilisé. Le Français a refusé ces misions fausses sur lesquelles l’Allemagne se précipite parce qu’elles comportent un uniforme, d’être dieu, d’être mondial, d’être démon, et quand il lui arrive un de ces reflets semi-divins dont nous sommes gratifiés tous les deux cents ans, il ne s’en sert que pour éclairer le visage ou l’esprit humain. Sa langue et son raisonnement ne permettent que des vérités humaines. (Ici, je pense qu’on me leva le pont de Rouen.) De ce scepticisme s’expliquent tous ces contraires, que le Français est le seul qui sache faire la cuisine et qu’il est sobre, qu’il est acharné dans le combat et sans rancune, qu’il déteste les étrangers et qu’il reste au monde le seul ami des nègres, des races débiles, des parias. (Ici s’ouvrit pour moi le pont de Grenelle.) Telle est la France, paisible, et elle exterminera ceux qui viendront troubler ses couturiers, ses philosophes et ses cuisines…

Si je sais que tu m’aimes ? Je t’écris d’un café du boulevard Saint-Michel, mon ange. Les garçons servent ma rêverie avec de grandes burettes de grenadine et de kirsch. Je n’aurais qu’à m’étendre, à arracher une lame du parquet pour trouver une source qui a donné son nom au café et qui ruisselle jusqu’au fleuve sans jamais voir le jour. Je n’aurais qu’à me lever, à monter sur la banquette, à trouer la tente, pour voir l’étoile polaire veiller sur l’établissement. Il fait noir, on ne soupçonne pas les maisons ; seules apparaissent, soulevées au-dessus de la ville, les chambres illuminées de ceux qui aiment à Paris. Des remords me viennent