Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/25

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dans la chute qui causa, dit-on, sa surdité… Il était de taille moyenne, mais beau, surtout au jour, ce qui le désespérait, car il n’arrivait guère à se lever avant cinq heures ; — mais, au coucher du soleil encore, les femmes-peintres de la Rotonde qui devaient épouser un baron balte pour assurer un père légal à leur enfant, les étudiantes russes qui s’étaient résolues à épouser un Français pour obtenir, ainsi naturalisées, le droit d’exercer en France la médecine, hésitaient à sa vue… Il avait des facilités en tout, sport, éloquence, peinture, excepté dans le madrigal et le triolet qu’il s’obstinait à vouloir transplanter dans la poésie rhénane… Je l’avais connu à Munich, alors que plein de raison déjà, à l’âge où je me hasardais à fumer des Abdullah et à boire de l’anisette, il avait épuisé morphine, cocaïne et quelques autres remèdes de Dieu moins connus, tels que l’épine de Mossoul et le swab. Dans les environs des bars, il se donnait pour agent de renseignements, sachant que ces résines suintent de préférence autour des greffes internationales un peu louches, flattant l’Algérien chargé de la propagande en Algérie pour obtenir du kif, et l’adjudant du bureau M pour ses tablettes de bétel dur… Des drogues peu coupables, telles que la grenadine et le maple sirup, qu’il avait obtenues d’un déserteur américain, lui versaient d’ailleurs, en raison de leur source, la même exaltation. Dès que l’esprit de bonheur, du moindre bonheur, soufflait sur lui, il arrivait en une seconde à une estime immodérée de lui-même, car il tenait un compte raisonné de tous ses actes, qu’il accomplissait d’ailleurs d’instinct, et les souvenirs de toutes ses bonnes actions s’épanouissaient à la moindre