Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/49

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jamais su pourquoi, comme si son rôle dans l’existence avait été uniquement de lui révéler les dadas ou le plomb vierge que respectent les courts-circuits. Les écrivains amis de Geneviève ne se croyaient même plus tenus de dédicacer leurs œuvres au fiancé en cours. Elle, dont le visage se modelait de façon inlassable, ne répandait aucune plainte et se contentait de ressembler quinze jours au disparu… Nous l’adorions, car elle était une de ces forces ou de ces faiblesses naturelles que le monde ne produit qu’à contrecœur et dont la civilisation se venge en les accablant de toutes les médiocres disgrâces qu’elle garde en sa panoplie, car Geneviève était fille et mère adultérine, divorcée, défroquée, et pas mal d’autres choses encore. Elle se défendait contre la société par des phrases d’enfant qui causaient de la honte à tous ceux qui se croyaient en règle avec leur petite conscience : Je suis enfant adultérine, mais mon père était sénateur. J’ai quitté le couvent directement pour l’atelier Quentin, mais je ne crois en Dieu que l’été. Je suis divorcée, mais je continue à vivre avec mon mari. J’ai été Allemande pendant la guerre, mais je suis revenue deux fois en France par l’aéroplane pour accoucher de petits enfants morts…

À ses jours de fierté, seuls jours qu’elle eût, elle nous parlait à toute occasion d’une cousine de Montbéliard qui, elle, était en règle avec tous les prêtres et hôtels de ville, qui était légitime, baptisée, mariée à l’église, et qui enfantait de petits enfants vivants. Mais d’une beauté extrême, surtout les jours où elle ressemblait à un fiancé non humain, à l’esclave de Vinci, à l’ange de Modigliani, ayant non seulement