Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/88

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que doit trouver à son chevet le soldat allemand amnésique dont la conscience s’éveille… « Pas de brunettes, pas de Lorraines rieuses, écrivait le major-chef Schiffl, mais l’image même de la patrie. Il est strictement prescrit qu’elle porte ses cheveux en longues nattes blondes et si possible jusqu’à la cheville, que sa poitrine soit haut placée et qu’elle puisse l’effleurer en se courbant du menton, que son teint soit de neige, de sang, avec un millième de safran, et telle d’ailleurs que le type parfait ci-contre, dont neuf photographies dans l’annexe reproduisent les principales poses réservées aux regards du blessé, avec les mensurations modèles de son corps, déterminées d’après les meilleurs tableaux ou statues du Moyen Âge, ou nos meilleures héroïnes vivantes de tragédie et d’opéra… »

Soudain (je ne devais pas me tromper, car j’avais regardé les neuf photographies avec complaisance), il me sembla voir près de la maison Forestier la femme modèle du major Schiffl. Elle en sortait sans que je pusse me rappeler l’avoir vue y pénétrer, par une étroite porte invisible dans un retrait, et, de cette villa qui était maintenant une partie de moi-même, ainsi qu’une aiguille sort tout d’un coup de votre bras ou de votre manche. C’était bien elle, les bras chargés de roses rouges, le menton penché effleurant presque sa gorge, et telle enfin, malgré l’absence de péplum et l’adjonction d’une veste en chat sauvage et de bottes à l’écuyère, qu’il était prescrit de se présenter, d’après l’image 6, aux amnésiques de deux ans. Pour réveiller même en moi, d’une époque oubliée pas mal antérieure à ma naissance, le souvenir