Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/107

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là, côtoyée par des autobus… Dieu me promit qu’un jour, dans ce magasin près de la Madeleine, j’irais acheter pour mes enfants de fausses araignées, de fausses sauterelles, des cigares qui éclatent… J’étais sauvée…

Ce n’est pas vrai que j’usais mes jours à me poncer les jambes et à les frotter d’une poudre de nacre qui les rendait d’argent même sous les rayons du soleil. Bientôt ce fut mon corps entier. Je n’avais plus qu’un grand chapeau ou une ombrelle. Après les quelques mois où le plus confiant s’entête à vivre en naufragé, toujours sur la grève, mesurant de l’œil les arbres comme de futurs bateaux, m’obstinant à chercher des hameçons pour ces truites qui se laissaient prendre à la main et des pièges pour ces oiseaux qui ne savaient pour vous éviter, comme en Europe sur votre fusil, que se poser sur votre bras même, je renonçai à être autre chose qu’une oisive et une milliardaire. Je tendis des écrans de plumes de cocotiers à cocotiers, y attachant parfois pour quelques heures des oiseaux vivants, car les plumes des plus beaux s’assombrissaient une fois tombées. J’eus des centaines d’énormes perles que je pêchais à la plongée, que je ne savais pas percer et que je portais au cou et aux genoux comme des billes dans de petits filets. J’avais des parfums