Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/149

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mouvements des antilopes je croyais voir qu’elles avaient jadis été caressées. Un des singes donnait l’impression qu’il avait été battu, un autre d’avoir été humilié. Tout ce que cet homme avait voulu créer en matériaux impérissables, sa maison de troncs d’arbre, son hangar de marbre, je le trouvais déjà mangé de mousse ou écroulé… mais les deux fossettes d’amitié et de crainte imprimées sur deux cœurs d’animaux étaient encore visibles. Sur quelques plantes aussi marquait sa marque : les herbes parasites respectaient au centre de l’île un enclos pelé, respectaient trois vieux épis, et les tiges de tournesols, pendant que leurs figures n’obéissaient qu’au soleil, étaient plantées suivant une ordonnance qui obéissait d’abord à un humain. Pas une femme sûrement, car il s’était aux besognes pauvres qu’on assigne à l’énergie et au sexe fort dans les îles désertes : ici, où tout est abondance en fruits et en coquillages, il avait défriché et semé du seigle ; ici, près de deux grottes chaudes la nuit et fraîches le jour, il avait coupé des madriers et bâti une hutte ; ici, où l’on apprend à grimper en deux heures, il avait construit des échelles, des vingtaines d’échelles rangées au fond d’un vallon comme les veilles d’assaut ou de cueillettes des olives ; ici, où les ruisseaux coulaient à vitesse différente pour étancher les soifs