Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/169

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pour le tuer le soir ; et toutes ces petites occupations de mort qu’éclaire l’aube des provinces. Hélas ! c’était toutes les fleurs portées par mon arbre, les siennes, celles de ses lianes, les catleyas qui sortaient de ses trous, déversant sur moi, chavirées par la brise — désolation d’un baobab — des pollens de toutes couleurs et si abondants que la rosée était séchée sur moi comme par une poudre… J’attendais. Comme un blessé qui met machinalement la main à sa blessure, je passais ma main sur mon corps et la portais ensuite à mes yeux, pour voir de quelle nuance me laissait aujourd’hui l’aurore… Plus de désolation heureuse ; seule, sans limites, la détresse. La joie se déliait soudain du désespoir, comme un serpent effrayé de son camarade de caducée, et disparaissait… Ce n’était pas les volets qu’on ouvre et qui claquent, ni la petite pluie du matin sur les brocs des laitières. C’était les paradisiers sortant de la nuit comme la porcelaine d’un four, tous les jours d’un éclat que je n’attendais pas si vif ; et c’était moi-même, accoudée à plus de petits palmiers, de petits bananiers et d’araucarias, et plus indifférente à eux et à la vie que sur sa voiture, boulevard Montparnasse, le commis de Belloir qui ramène sa flоrе d’un bal officiel… Je me dressais, secouant toute pensée et tout pollen de ce corps