Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/17

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promesses à l’avenir, au mariage, pudibondes et dures s’il nous regardait bien en face. Peu Orientales, nous nous disputions un carré de rahat loucoum comme on se dispute un gâteau sec, le tirant chacune à nous. Parfois de vieux généraux, affectant une paternité parfaite, nous prenaient la taille et tiraient à nos tresses, secouant notre tête sans parvenir à secouer nos yeux, que nous rendions implacables comme deux disques. Nous avions une maîtresse de piano déplorable, mais bonne, de sorte que nous faisions venir de Limoges, à la dérobée, un professeur du Conservatoire ; nous avions un vieux confesseur sourd, de sorte que nous allions une fois par mois nous confesser en supplément au chanoine de Saint-Martial ; mais tous deux étaient contents de nous, nos progrès en piano et en sagesse déconcertant Bellac, et ravis d’eux-mêmes. Nous avions des cousins revêches, peuplés de boutons, labourés par de jeunes rasoirs, mais tous les jeudis, à Limoges, des lieutenants de hussards inconnus, cousins ravissants d’autres filles, nous suivaient. De sorte que la vie et l’âme nous apparaissaient déjà doubles. Tout ce qui plus tard deviendrait nos armes pénétrait jusqu’à nous par les canaux les plus secrets, le Baume Salva dans un faux livre, la Crême-de-Beauté cachée