Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/187

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sciemment je les enveloppais comme de sachets les raisins aux treilles. J’eus d’eux cette révélation que d’autres ont de Dieu, d’ailleurs de moi tout aussi proche. Tous ces jugements que j’avais appris à porter machinalement sur leurs vices, leurs vertus furent soudain périmés. Desséchés par ce soleil tropical, greffes stupides, préjugés, bon sens et bon goût tombèrent par vieillesse de moi. Le soleil se levait. Pour la millième fois je le voyais monter, et c’était pourtant comme si je levais pour la première fois la mèche d’une lampe. Une telle lumière s’installait sur le monde que tout ce que j’appelais jusqu’à ce jour crime ou défaut ou turpitude en était lavé. Peut-être était-ce que je comprenais seulement ce jour-là la lumière ! Le vol, l’assassinat ? Je voyais sur le voleur la lune adorable ; le couchant caresser les bras nus du criminel. Je voyais un doux rayon accompagner les corps adultères. Je voyais l’éclat d’un bec électrique sur le visage crispé de la mère dont le fils a échoué à l’examen. Je voyais la lumière d’une lanterne vénitienne éclairer le front du père qui ne pardonne pas, — et lui était pardonné. Je voyais sous leur lampe ces beaux crânes de savants sur lesquels la hache du pessimiste s’émousse comme sur un nœud dans du chêne. Je voyais un bras nu, — était-il éclairé