Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/19

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goût de larmes, nous brûlions du houx à la chandelle pour avoir l’odeur exacte de l’opium, et quand à quatre heures onze le plus méfiant des êtres fatigués arrivait, il ne trouvait que deux portes ouvertes, deux fenêtres ouvertes, un parfum de sorcière…

Ainsi, chaque après-midi, nous jetions toutes quatre au milieu de nous nos années éparses, et l’une avait le droit d’en prendre plus que son compte, devenait soucieuse, l’autre moins que son compte, devenait notre enfant. Nous nous sentions un corps plein, des sens à peine creusés sur lui et les démons ne pouvaient y pénétrer plus que la pluie dans une oreille. Il nous eût été bien facile, avec cette Victoria, si proche, par sa mémoire, de l’existence antérieure, avec cette Marie-Sévère si voisine, elle, de la mort, de faire de notre présent un terrain plus réduit encore et plus pathétique que ce tréteau sur lequel Norvégiennes et Russes boxent la vie. Mais nous étions des Françaises. Mais, à Bellac, on se laisse conduire par la faim et la soif, par la fatigue et le sommeil, seules marées des campagnes, et par tout ce qui dilate et rassemble une famille autour de sa maison ou de sa ferme. La courroie qui unit les deux repas, le rideau qu’on tire le soir, tout fonctionnait à merveille. Nous ne cherchions pas, comme les