Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/220

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conquête de l’Alsace avec des clairons, la bonté des zouaves pour les prisonniers, l’anarchiste et le royaliste se portant l’un l’autre à l’hôpital, formes soudain immobiles et exsangues, presque ridicules, et qui attendaient un mot de moi pour reprendre leur vie.

Mais déjà j’avais lu les gros titres, puis les moyens. Déjà je savais que le fils de Kipling était tué, tué aussi le neveu du premier douanier de Shangaï, M. Boilard, et en plus de ces deux-là tués depuis longtemps, les deux seuls dont je connusse les noms, une statistique me disait qu’il y avait huit millions de morts en Europe. J’avais toute la tristesse, tout le remords surtout, que donne une telle nouvelle… J’y étais cependant pour si peu ! Par quoi avais-je ma part de cause dans tant d’horreur ! Pourquoi me sentais-je un peu coupable ? Quels étaient ceux de mes gestes autrefois, celle de mes paroles qui avaient apporté un poids, si léger fût-il, à la guerre ? Par quoi avais-je, moi jadis à Bellac, manqué de prudence et appuyé sur le plateau ? Tous les arbres de Picardie coupés, disait un titre. Plus de chevaux en France, disait un autre. Par quoi avais-je amené un arbre, un cheval de France à la mort ? Oui, j’avais deux fois négligé, les deux fois où j’avais eu affaire à l’Allemagne