Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/292

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immonde vertu, ils avaient été retirés de mon cœur. Cette chaîne que chacun accrochait de mon regard à l’un de ses traits ou l’un de ses gestes, Edwin l’avait décrochée pour s’enfuir. Ils étaient là, devant moi, réussis évidemment dans leur genre, comme des petits pâtés cuits à point ; un peu plus de cuisson, et le rouge de madame Blumenoll fondait, et le cœur de Mrs Baldwann. Quelques-uns restaient sympathiques, émergeaient au-dessus des autres, je les repêchais comme jadis mes épaves. Je regardai Billy, je vis un grand enfant blond et rose, bon, beau, spirituel, riche et doux, — un pauvre enfant ! Il me sourit, lui le milliardaire qui pensait en cette minute à notre automobile Pic-Pic en or, notre villa Plumet en vermeil, à notre existence Rolls Royce en diamant. Mais je fermai les yeux… J’avais perdu aussi Billy… Là-bas on parlait du Lusitania et tous se tournaient vers la place d’Edwin avec des sourires flatteurs, étonnés de la trouver vide.

Maintenant j’étais sur la terrasse du Plazza. Étendu dans un casier, quatorze étages au-dessus de moi, pauvre bouteille humaine, Billy, averti de ma décision, pleurait. Je voyais de grandes raies lumineuses quadriller la cité comme un gâteau, les unes entaillées jusqu’au macadam, les autres là-bas appuyées à peine ; il faudrait tirer là-bas