Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/300

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premier air que Hawkins m’a joué sur son phonographe avec des cires et une aiguille, un doigt sur le cœur il le chante.

Il arrive… Voici donc ce Français, qui rend inutile l’arbre-étreinte ! Voici donc un de ces Français célèbres dans le monde entier pour traverser de biais sans accident les voies populeuses et la vie ! Je le vois. Je le vois comme vous ne savez pas voir, car je n’ai pas repris l’habitude de séparer dans mes pensées ce que je vois de physique et ce que je vois de moral. Il a deux grandes moustaches avec un dévouement sans bornes. Il a une pomme d’Adam qui palpite avec un grand besoin de confidences. Il a une épingle de cravate en doublé avec une douce obstination… Il ne bondit pas sur l’arbre, il ne court pas dans l’eau. Il tient à la terre comme un vase léger dans lequel on a mis du sable pour en faire une lampe stable. Ses pieds quittent à peine le sol, éventé par sa jaquette, et son visage éclaire à la même hauteur buissons et animaux. Voici le Français, qui remplace pour l’humanité l’arbre-lampe. Il va passer sans me découvrir. Je toussé, entre le refrain et le couplet, car je sais de là-bas que ni oiseaux ni hommes n’entendent quand ils chantent. Il se retourne. Il me voit sortir de mon arbre. Fils des