Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/33

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fournisseurs. Chaque soir elle en revenait avec un membre réparé et une emplette, un chapeau de duvetine-rouge quand sa canine fut limée, un éventail de friseline verte quand l’ongle de son orteil eut été redressé, si bien qu’elle se vit dans la glace toute neuve et veloutée et éclatante le jour où les artistes de la rue Pape-Carpentier l’eurent libérée de ses imperfections cachées. Au dîner j’avais ses remarques, qui restaient à peu près celles de Bellac, car elle avait gardé dans Paris l’ouïe d’une provinciale : on avait sonné le glas à Saint-Germain ; le tonnerre était tombé rue Danton ; les girouettes de la mairie du VIIe était coincées, il fallait aller jusqu’au Panthéon pour savoir le vent. Parfois des quartiers-maîtres en congé l’abordaient pour lui vendre des bibelots. Elle acheta une poupée japonaise pour la rapporter au Japon, pour l’y relâcher sans doute, comme elle eût fait d’un oiseau, et du dentiste elle tenait mille renseignements décisifs pour notre voyage : les Siamoises ont les dents rouges, les Annamites qui ont les dents laquées noir ne sont pas des Annamites, mais des Tonkinois. Prétextes à me parler de son deuxième fiancé, qui le matin de son départ pour l’Indo-Chine lui avait dit, — dernières paroles, adieu suprême, il l’adorait, le pauvre homme :