Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/50

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rents. J’écoutais Toulet décrire le ciel ou les feux par des noms de couleurs que je ne connaissais pas, l’aventurine, l’itéra, le latil ; d’une voix si tendre et insinuante qu’il me semblait me farder les yeux. Il y avait ceux qui parlaient quand la fusée montait, ceux qui parlaient quand elle était éclatée, Ceorelle debout de peur, battant les secondes aussi fort qu’une horloge de campagne, et l’explorateur poussant un petit cri, un seul, juste au moment de l’éclat. Pourchassé par Toulet, il n’avait trouvé de refuge que sur cette seconde de lumière.

Toulet était maintenant près de moi, Curnonsky tenant sa droite qu’il avait gardée dans tout leur voyage autour du monde, un peu penché, paraissant rechercher de ses yeux myopes une signature dans le coin droit de toutes choses et de tous spectacles, Toulet ne lui cédant jamais la place centrale, — la signature des Pyramides, des baobabs… De cette main cruelle qui lança mille piastres de langoustes, une par une, aux pieuvres de l’aquarium de Malacca, pour qu’on vit la carapace happée jusqu’au fond par les ventouses remonter vide à la vitesse d’un boulet, Toulet suivait, bue par la nuit, chaque fusée. Je me sentais près de lui satisfaite. Quand on cause dix minutes avec Toulet, horloger des âmes, toujours