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Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/9

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pour sa dernière visite… Tout à coup sur la rue s’allumait le gaz, et le char de la nuit tournait vraiment, chassant les chauves-souris… C’est alors qu’on sonnait et qu’arrivaient mes amies.

Je vais vous dire leur taille, leur couleur. En les poussant toutes trois devant moi je pourrai peut-être enfin commencer ce récit. Je vais vous dire la longueur de leurs cheveux, leur pointure. Dès que je place devant moi une feuille blanche, deux personnes dissemblables fuient, comme sous un bec de gaz nos ombres, mais de moi il ne reste rien. J’ai dû si longtemps, dans une réclusion et une solitude sans exemple, par besoin ou par jeu, laisser parfois mon cœur, ma volonté, jusqu’à mon corps, me dominer et m’effrayer comme ceux d’un être infiniment plus grand et plus fort, tant de fois au contraire réprimer des gestes d’enfant au berceau, rattraper avec peine au fond de moi tout ce qu’il y a de plus menu comme pensée, de plus végétal comme âme, que je ne trouve d’habitude à choisir, quand je veux raconter mon aventure, qu’entre une image gigantesque et une image minuscule de moi-même ; j’ai beau m’installer comme tous les écrivains femmes, pour ne pas me sentir à moi-même ni trop étrange ni trop familière, en face de ma psyché ; j’ai beau écrire de force une