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Premier péché

bas jeter quelque chose de nous ; allons mettre dans ce pays lointain du sang breton, de l’âme bretonne ! Allons, te dis-je, ces forêts vierges nous tendent les bras, le vent doit y souffler des héroïsmes. Allons nous y aimer, Jean, et y élever nos fils !

Il la pressait sur son cœur, caressait de ses lèvres les cheveux blonds gentiment ramassés sous la petite coiffe blanche et admirant la beauté charmeuse de l’exquise enfant, il songea à ce que serait leur vie. L’emmener là-bas, l’exposer au froid, à la faim, aux coups de feu des Indiens… la perdre peut-être ! Il eut un grand frisson. Ici, la vie était dure ; à tout moment, un naufrage pouvait l’engloutir, mais elle vivrait, la chère, et si elle mourait de sa douleur il ne la verrait pas souffrir.

— Non, je ne puis t’emmener là-bas, mignonne, les sauvages te feraient peur.

— Ils nous aimeront, les sauvages, Jean, et s’ils veulent me faire mal, tu les tueras.

Dans les bras de son mari, la naïve Bretonne ignorait la crainte.

De leurs yeux avides, ils scrutaient le lointain, si loin ! si loin !

***

Ils étaient débarqués par une froide journée où le vent d’automne soufflait rageusement. La petite Bretonne n’avait pas peur de ces immensités où vivaient des êtres jaunes ; elle trouvait tout joli, tout radieux, s’emplissant l’âme de la fraîcheur immense qui parfumait le désert canadien. Il lui semblait que c’était la mer de là-bas qui frappait encore les rochers d’Amérique.

Où se trouvait Jean était son bonheur, et le marin d’hier, devenu colon, avait toujours à ses côtés cette tendresse chaude stimulant ses énergies, fécondant tous ses efforts. Québec ne les retint pas longtemps ; ils en admirèrent les falaises gigantesques, les horizons incomparables, mais ils rêvaient d’un coin unique, où la mer leur verserait ses ondes, à eux seuls, et marchant au sein de l’immense contrée, ils atteignirent le nid créé dans leur rêve.

C’était un éblouissement : une immense forêt, dont les grands arbres à feuilles demi-mortes s’enveloppaient d’une suprême beauté de teintes or-pâle, incarnat-vif, rouge-éteint. Cette splendeur rayonnait sous les caresses ardentes du soleil qui s’endormait dans l’embrassement des flots.

Et ils écoutèrent le vent du soir jeter ses notes amoureuses aux feuilles attendries, pendant que le fleuve, sur la grève charmeuse, se roulait, enveloppant les rochers d’une mélodie berçante.

— Restons ici !

Et sous la petite tente dressée hâtivement, ils dormirent sans crainte, ces enfants de Bretagne venus au Canada, pour lui donner