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Premier Péché

Les propos d’amour l’amusaient, surtout ; elle se blottissait parmi les plantes, recueillant, avidement, tous les mots ; c’était une musique nouvelle, et elle s’en grisait. Je t’aime, que ce doit être charmant ! pensait l’enfant. Un couple tout près d’elle, s’arrêta, et lui, un grand brun, disait, à elle, une frêle et gracieuse blonde, un lot de choses charmantes, déclarations enflammées qui mettaient Jeannette aux anges ! Et, un peu plus tard, près du même laurier rose, la fillette écouta le même jeune homme redire les mêmes propos… elle avança sa tête curieuse pour revoir la même blondinette aux grands yeux rêveurs… et, elle aperçut une grande et belle personne à l’air altier, qui lui rappela Junon : Jeannette étudiait sa mythologie.

L’enfant avait envie de lui crier : Tu es un menteur ! tant elle trouvait perfide cette tromperie, à l’ombre du laurier rose… pauvre laurier ! mais le lit blanc lui apparut… et pour soulager, un peu, sa petite âme, elle chercha la blondinette trahie, voulant lui donner une caresse compensatrice. Elle aperçut bientôt sa robe rose, et la vit causer avec un joli danseur, elle s’avance, et là, tout près… ? Pauvre petite, elle entend le même refrain répété en duo…

Et l’enfant grave, de dire :

« Mais, ils ont donc appris cela par cœur, comme Maman me fait apprendre ma leçon d’histoire… ils disent tous la même chose ! »

Il lui semble maintenant que la fête est un enchantement de mauvaise fée, son front est brûlant, trop de pensées bouillonnent là, et les yeux lui font mal. Jeannette pense à son jardin, et gagnant la porte, elle s’en va dans la nuit. Peur ? de quoi Jeannette aurait-elle peur ? le bois n’est-il pas son meilleur ami ? elle en connaît tous les détours, et s’amuse, souvent, à y marcher les yeux clos.

Au milieu des arbres dont la tête profile une tache noire dans le ciel sombre de cette nuit vierge d’étoiles, on voit le voltigement blanc de la robe de Jeannette, telle l’écharpe qu’une déesse, amoureuse des arbres, fait onduler à travers les branches des bois endormis. Un frémissement d’oiseau, un soupir de feuille, une caresse du vent, légers souffles effleurant les cheveux de Jeannette, disait quelque chose à cette enfant, qui n’avait souri qu’à la nature, et dont le petit cœur, ce soir, était gonflé des premiers désenchantements. Elle gagna un berceau, et dans la nuit, un point rouge — celui de la cigarette, — lui souhaita la bienvenue.

— C’est toi, cousin ? fit Jeannette, devinant.

Le grand cousin, le confident intime, et si discret ; elle savait où le retrouver, lui, qui n’aimait pas les fêtes. S’asseyant à ses côtés, sur le banc rustique, elle appuya son front charmant sur l’épaule du jeune homme et lui raconta tout.